La soie
L'origine de la soie et de son tissage se perd dans la nuit des temps, très loin en Chine.
Une réponse nous est cependant proposée par Confucius, qui raconte dans son livre des Odes, comment, près de trois siècles avant J.-C., la princesse chinoise Si-Ling-Chi, assise au pied d'un mûrier, buvait son thé lorsqu'un cocon tomba dans sa tasse, elle pris alors cette petite boule grisâtre, et fut toute étonnée d’en tirer un fil, fin et doux, d’une longueur extraordinaire.
Légende ou pas, ce sont bien les Chinois qui furent les premiers au monde à élever le ver à soie et dès la fin du IIe millénaire avant J.-C. ils mirent au point des métiers à tisser leur permettant de fabriquer des tissus de soie ainsi que des broderies.
On sait également que dès l’antiquité, de Chine en Occident, la circulation de marchandises, d’idées, de techniques et de religions se déroulait, sur une dizaine de milliers de kilomètres, une route dite "de la soie". Cette appellation, utilisée au XIXe siècle, démontre la prédominance de la soie sur les autres produits échangés et surtout, par ce qu’elle représente de luxe : qualité et coût élevé, et de mystère : fabrication, origine...
Depuis, ce terme est resté, mais en fait, on devrait dire "Les routes de la soie" car à travers les siècles et les évolutions des peuples ainsi que des pays, cette route a connu pas mal d’avatars.
C’est à Louis XI que l’industrie de la soierie à Tours doit son existence. Après un siècle de lutte intestine, la France se relève de tous ses maux : guerres, famines, épidémies, révoltes paysannes et artisanales.
La Bourgogne devenue française, le roi profite de cette accalmie pour favoriser l'essor du commerce mais, afin d'empêcher la sortie de devises : "le vuiandage d'or et d'argent" provoqué par l'importation massive et ruineuse des soieries étrangères, il s'efforce d'introduire en France les secrets des tisseurs italiens. En novembre 1466, il propose à Lyon, (qui détenait depuis 1450 le monopole du commerce des étoffes soyeuses), la création d'une manufacture royale, espérant s'attacher par une remise d’impôts les maîtres, ouvriers expérimentés "tant au travail de ladite soie, que sa teinture et autres choses à ce propos qui viendront demeurer audit lieu de Lyon, pour faire et exercer ledit ouvrage".
Mais pour réaliser ce programme, le roi imposa aux marchands lyonnais une contribution peu populaire de 2 000 livres, qui fut recouverte "avec une lenteur voulue". On comprend leur peu d’enthousiasme, de devoir financer l'installation de tisserands et fabricants italiens, quand on sait que leur fortune provenait de l’importation des tissus de soie.
Les artisans attirés par l'édit royal se heurtèrent donc, à la mauvaise volonté des autorités locales, et durent renoncer à établir leur atelier. Le 12 mars 1470, Louis XI irrité par cette hostilité, ordonna aux consuls de Lyon "de faire conduire et admener en nostre dite ville de Tours, les ouvriers dudit mestier, avec les moulins, mestiers, chaudières et autres choses nécessaires".
Ainsi, les lyonnais, qui avaient refusé la proposition royale, durent finalement contribuer à l'installation de la première manufacture de soie, en prenant en charge son déménagement.
Le choix de Louis XI s'était porté sur la cité tourangelle car, installé au château de Plessis-lès-Tours, il avait à cœur de développer l'économie de la région. L'arrivée de quelques tisserands, puis l'introduction des métiers à la tire, permit grâce aux soins vigilants du roi, à l’habileté des ouvriers et à l’empressement de la Cour à acheter de belles étoffes de soie, de faire très rapidement prospérer cette nouvelle industrie.
La soierie tourangelle prospéra sous Charles VIII, connut son apogée sous François Ier, rappelez-vous, c’est ce dernier qui, pour éblouir son hôte Henri VIII roi d’Angleterre, le reçut dans le fastueux camp du Drap d’or. Puis elle connaîtra bien des vicissitudes au cours des siècles suivants avec des événements stériles : guerres, concurrence de Lyon, révocation de l’Edit de Nantes qui fit fuir à l’étranger beaucoup de tisseurs locaux, pébrine (maladie du ver à soie), et enfin son déclin au cours de la première guerre mondiale.
L’industrie de la soie connut pourtant des périodes fastes, en particulier au XVIIIe siècle, pendant lequel la production devint très importante grâce à Vaucanson qui en 1747 fabriqua le premier métier automatique pour le tissage d’étoffes unies.
Vint ensuite Jacquard qui travailla très jeune comme tireur de lacs : ce métier consistait à soulever les fils de chaîne et tirer sur les fils de trame avec une corde, à chaque passage de la navette. De santé fragile, il réalisa en 1800 un métier à tisser qui supprimait l'opération de tirage qui lui laissait de pénibles souvenirs.
L'utilisation de cartons perforés qui guident des aiguilles soulevant les fils de chaîne représente le premier dispositif d'automatisation.
Cet appareil automatisé, capable d’effectuer les tâches les plus ingrates, allait révolutionner la profession. En 1812, on dénombrait près de 11.000 métiers Jacquard sur le territoire français. Il y en avait 20.000 à la fin du XIXe siècle.
Si la suprématie industrielle de Lyon est actuellement incontestable, la région tourangelle compte néanmoins encore deux grands soyeux, la fabrique Roze à Saint-Avertin et l’ex manufacture Le Manach, qui hélas, a quitté le quai Paul-Bert pour s'implanter à Esvres.