L’entrevue historique du quai Paul-Bert

 

C’est lors de la journée du 20juin 1940 que la destruction de la ville de Tours a été évitée, mais après d’âpres pourparlers entre les militaires allemandes et les autorités locales. 

 Les troupes françaises battent en retraite après la prise de Paris le 14 juin 1940. Afin de contenir l’ennemi qui se rapproche de Tours il est décidé d’organiser une ligne de défense sur la Loire en attendant la signature de l’armistice demandé le 17 juin par le maréchal Pétain depuis Bordeaux. On fait sauter une arche du pont de pierre, côté Saint-Symphorien, des tirailleurs algériens creusent des tranchées, mettent leurs mitrailleuses en  batterie ; quelques chars d’assaut du 501e régiment de chars de combat prennent également position sur les quais.

 

Des avions allemands atterrissent à Parçay-Meslay le mardi 18. Quelques ennemis arrivés quai Paul-Bert essuient le feu des tirailleurs et font demi-tour. Un peu plus tard le pont de fil explose à l’exception de la partie nord ce qui va permettre aux Allemands, de retour, de passer dans l’île Aucard. Toute la nuit des tirs de mitrailleuses sont échangés entre les tirailleurs postés sur le quai et les unités allemandes qui ont pris position dans l’île.

 

Le 19 juin au matin les pièces d'artillerie, en batterie sur les coteaux de saint-Cyr et de Saint-Symphorien, tirent des obus explosifs et incendiaires sur Tours en direction de la bibliothèque où s'est concentrée une partie de la défense. Vers 4 h 30 un incendie s'y déclare. Il se propagera rapidement aux maisons voisines, puis à tout le quartier, alimenté par les fuites de gaz et le bois des constructions anciennes. La rupture de la canalisation d'eau du pont Wilson empêche les pompiers de combattre les nombreux incendies qui se sont déclarés. Les tirs se poursuivront toute la nuit entre l'artillerie allemande et nos canons installés à Joué-les-Tours. Ils s'apaiseront un peu au lever du jour, mais les dégâts sont considérables : 12 hectares sont rasés dans le centre ville, seule l'église Saint-Julien reste debout. Ce n'est que deux jours plus tard que les pompiers pourront accéder à la Loire, s'approvisionner en eau et reprendre la situation en main aidés par un orage providentiel.

La biblothèque après son incendie
La biblothèque après son incendie

Le 20 juin, après une recrudescence de tirs, le calme revient dans l'après-midi. On entend le sifflement du vent qui active les flammes dans les quartiers sinistrés. A 17 heures, les tirs ayant complètement cessé, les Allemands tendent deux grands draps blancs au bout du pont de pierre. Il s’agit du début de la trêve de deux heures devant permettre le passage de la délégation d’armistice venant de Bordeaux.

 

A environ 17 h. 30, par un civil porteur d'un drapeau blanc, qui arrive près de la brèche du pont, les autorités allemandes font demander le maire. M. Morin arrivera quelques minutes plus tard, accompagné de plusieurs fonctionnaires tourangeaux ainsi que d’une interprète. Au même moment quelques coups de feu sont tirés provenant de postes avancés qui, sans doute, n'ont pas encore été touchés par l'ordre de cessation du feu. Le calme revenu, la délégation municipale revient devant la brèche, attendant de longues minutes, cependant que quelqu'un agite le drapeau blanc.

 

Le parlementaire, le même civil que précédemment, venu à bicyclette sur le pont, demande au maire de revenir d’urgence, accompagné d'un représentant de l'armée, afin de discuter avec les autorités allemandes. Le maire, craignant de ne pouvoir trouver d'officier, propose de se faire accompagner par le préfet. 

Ferdinand Morin maire de Tours
Ferdinand Morin maire de Tours

Vers 18 h 30, le préfet et le maire, accompagnés cette fois de M. Grenon, adjoint, ainsi que des mêmes personnes présentes à la première entrevue, arrivent au pont. Quelques officiers allemands les attendent et demandent aussitôt pourquoi des coups de feu ont été tirés pendant la trêve ; ils font remarquer que c'est là un grave manquement a la convention accordée. L'un d'eux menace de reprendre les combats et de raser la ville. La situation est critique. Grâce à l'intervention conjuguée du préfet et du maire, l'incident paraît cependant devoir s'arranger. Le préfet, le maire et un jeune aspirant se trouvant là en reconnaissance, sont alors invités à passer dans l’ile Aucard. Ils se rendent en amont du pont de fil et traversent le bras du fleuve. Du débarcadère, empruntant le pont sur le bras nord, ils vont sur le quai Paul-Bert où se trouve un groupe d'officiers allemands et de nombreux soldats. Le début de l'entretien est consacré au règlement de l'incident du pont. Le préfet et le maire plaident la cause de la ville.

 

Les officiers allemands demandent alors successivement au représentant de l'armée, au préfet, puis au maire, le libre accès dans la cité. Le préfet propose de rendre compte de cet entretien au gouvernement et de faire connaître dès que possible les intentions de celui-ci. Il demande instamment que les hostilités ne soient pas reprises avant l'arrivée de cette réponse.

 

M. Morin, interrogé, prend alors la lourde responsabilité de répondre sur-le-champ. Au nom de la population tourangelle, il jure sur son honneur et même sur sa vie que Tours étant déclarée « ville ouverte », et les troupes s'étant retirées son accès est libre et précise que nulle atteinte ne serait portée aux soldats allemands.

  

Malgré le plaidoyer des deux personnalités, les officiers allemands ne sont pas disposés à leur accorder l'apaisement voulu et menacent de reprendre le bombardement immédiat de la ville ; l'arrivée soudaine d'un général venu en auto permet d'obtenir que le combat ne reprenne pas avant l'arrivée des renseignements demandés par le préfet et la trêve est prolongée.

 

Les Allemands portent alors la conversation sur l'arrivée de la délégation française d'armistice. Le général avise le préfet et le maire que probablement les plénipotentiaires devront se rendre à Amboise pour y rencontrer les délégués de l'armée allemande sur le pont de bateaux qui vient d'être construit. Le rendez-vous précédemment fixé au pont de pierre à Tours ne pouvant plus s'y tenir depuis la rupture de l'ouvrage.

L'entrevue historique du quai Paul-Bert n’aura duré qu’environ trois quarts d'heure.

Entre temps, M. Feld, sous-préfet, prévenu de l’arrivée prochaine de la délégation venant de Bordeaux, se rend au pont du Sanitas pour l’accueillir. Son arrivée évite d’ailleurs que l’ouvrage ne  saute et vers 20 h 30, le préfet et le maire, accompagnés de l’officier d’ordonnance du général Huntziger, qui vient d’arriver en avant-garde ; se rendent   auprès du général allemand qui s’impatiente. Le capitaine ayant fournit les indications sur l’arrivée prochaine de la délégation, la prolongation de la trêve est acceptée.

 

Une heure plus tard, les mêmes personnalités traversent cette fois la Loire dans une barque de l’armée allemande, abordent quai de Portillon et près de la place Choiseul des officiers les attendent pour connaître les raisons de ce  retard. Pendant ce long entretien, à l’autre bout de la ville, les plénipotentiaires sont accueillis par le sous-préfet qui monte dans la voiture du général Huntziger pour le conduire à Amboise où ils arriveront vers minuit.

 

Avisés du récent départ des deux délégations française et allemande pour Vendôme ils sont priés de s'y rendre également. A leur arrivée, il est plus de 1 heure du matin, une longue conversation a lieu alors entre le général Huntziger, M. Noël, ambassadeur, le préfet M. Vernet et M. Morin le maire, conversation au cours de laquelle les deux personnalités tourangelles font l'historique des journées tragiques qui se sont déroulées à Tours et de l'heureuse conclusion obtenue.

 

M. Morin reçoit une nouvelle fois de la part d'un général allemand l'assurance que Tours n'a plus rien à craindre. Après s'être entretenus de l'armistice, les plénipotentiaires partent en direction de la forêt de Compiègne.

 

Retenus par les autorités allemandes le reste de la nuit, MM. Vernet, Morin et Feld, regagnent Tours en auto, aux premières heures de la matinée du vendredi 21, une voiture de l'armée allemande leur ouvre le passage tout le long de la Loire. Cette journée verra les premiers soldats allemands, ayant traversé la Loire en amont du pont de Saint-Symphorien dans des barques en caoutchouc, entrer dans la ville pendant que d’autres construisent une passerelle sur la trouée du pont de pierre.

 

Désormais, Tours va vivre à l'heure allemande, toutes les horloges de la ville sont avancées d'une heure.

Source : Charles HAMONET, "Les journées historiques du 15 au 23 juin 1940 à Tours" Ephémérides tourangelles, Arrault et Cie Tours