La disparition de l'île Saint-Jacques

Sur cette île, aujourd'hui disparue, vécurent deux mille tourangeaux pendant près de trois siècles.

 C'est avec la reprise de la guerre avec les Anglais, en 1337, Edouard III convoitant le trône de France, que commence la guerre de Cents Ans et l'histoire de cette île.

En 1354, cette guerre oblige les habitants de compléter les fortifications existantes par un nouveau rempart. La construction d'une enceinte fortifiée durera jusqu'en 1368, elle seras défendue par une large fosse et flanquée de nombreuses tours avec pont-levis. Elle contournera les deux bourgs : à l'est, le "château" appuyé sur la vieille cité gallo-romaine (quartier de la cathédrale) et à l'ouest celui de Châteauneuf, autour du monastère de Saint Martin (quartier des halles) ; l'ensemble formant ainsi la ville de Tours. Plus tard, de nouvelles mesures de défense s'imposent car les Anglais qui sont sur la rive droite de la Loire, occupent l'abbaye de Marmoutier et menacent Tours. La décision est donc prise en 1417, d'isoler les grèves du fleuve et de faire « battre les eaux » le long des murailles. Le château situé en face du pont Eudes (remplacé par l'actuel pont de fil), devra également être défendu. Entouré de fossés, une prairie, aujourd'hui inondée, l'isolera du fleuve.

D'importants travaux de creusement sont alors entrepris et la terre est transportée au milieu de la Loire. Cet apport fait surgir une île relativement importante puisqu'elle s'étend, en amont du pont roman de Saint-Symphorien, face au château, jusqu'au niveau de l'ancien carroi des Tanneurs, un peu avant l'actuel pont Napoléon. 

Sur l'île des pêcheurs, des lavandières et des cordiers s'installent progressivement. La vie s'organise et on  recensera bientôt deux cents maisons abritant neuf cents foyers. Une chapelle est aussi édifiée et dédiée à Saint Jacques, d'où le nom de l'île. Le dimanche, les tourangeaux vont s'y promener ou se reposer à l'ombre des saules ou encore danser dans les guinguettes. L'île dispose  alors de sa propre administration et de son drapeau : cerise, blanc et vert émeraude. Une compagnie armée s'y tient en permanence.

 

Avec le temps, les insulaires auront malheureusement à subir de nombreuses inondations, en particulier les  grandes crues : celles de 1426 où les eaux du Cher et de la Loire se mélangent, de mars 1581, de décembre 1755, qui submerge complètement l'île, de février 1757. Ces débordements du fleuve posent bien des difficultés à l'administration pour évacuer les habitants.

 

Par un arrêt du cabinet de Louis XV en date du 29 mars 1757, la décision de détruire l'île est alors prise en invoquant  deux raisons supplémentaires :

- la construction du nouveau pont de pierre prolongeant la tranchée effectuée dans le coteau en 1757 - - le dégagement de la Loire “dont les eaux noient les parties basses de la ville de Tours”.

 

Des indemnités sont calculées et proposées en 1758 aux propriétaires mais, attachés à leurs biens et à leur île, un grand nombre refusent d'évacuer. Après plus de cinq ans d'atermoiement  les  pouvoirs publics doivent employer la force et en 1764, l'armée intervient à la baïonnette.

Pendant que deux bataillons d'infanterie occupent les maisons devenues inhabitées et se chargent de la construction du nouveau pont, d'autres militaires sont affectés à la destruction de l'île. C'est à dos d'homme que les matériaux et la terre récupérés sont transportés et déposés sur les deux rives de la Loire, édifiant une levée de huit mètres et donnant ainsi naissance aux quais  actuels.

 

De ce très important chantier, qui durera six ans, il ne restera à proximité du pont qu'un  îlot que les hommes et l'apport naturel de sable agrandiront au fil du temps. Son dernier propriétaire, M, Simon, y bâtit une maison, c'est ainsi que cette île prendra le nom, qu'elle porte encore aujourd'hui. 

Source : Gaston TOUZALIN, Journal La Nouvelle République" du 9 septembre 1980. "