Le crime du quai Paul-Bert

On peut lire dans le numéro du 9 septembre 1911 de l’hebdomadaire "L’Illustration": "Il nous faut bien, malgré notre peu de goût pour la chronique criminelle, parler de ce crime de Tours dont tout le monde s’occupe. C’est une affaire qui sera célèbre demain au même titre que l’affaire Steinhel. Mais le drame de Tours a son caractère propre et on lui trouvera aisément une parenté balzacienne".

 La presse régionale et parisienne se passionna en effet pour cette affaire, qui déplaça jusqu’à la grande Colette. Pourtant c’était un crime banal autour du triangle classique du mari, de la femme et de l’amant (ce dernier ayant tué le premier). Une affaire tellement commune qu’elle en devenait un exemple :

Le 14 juin 1911, le cadavre de M. Henri Guillotin, 41 ans, est découvert dans sa maison du 12 quai Paul-Bert, tué de deux balles dans la nuque. La victime, aisé financièrement et également propriétaire à Ruillé-sur-Loir. Arrivé de la Sarthe dans la journée du 12 juin M. Guillotin a été vu effectuant quelques courses dans Tours et traversant la Loire pour se rendre à son domicile tourangeau. On ne le reverra plus vivant.

Très vite, les soupçons se portent sur le cousin de Mme Guillotin. On aurait, effectivement aperçu Paul Houssard, 28 ans, en compagnie de la victime le soir du 12 juin. De plus la rumeur fait de ce propriétaire du prieuré de Luynes, l'amant de Mme Guillotin (1).

Paul Houssard est arrêté le 6 juillet. Une reconstitution est opérée, le présumé coupable, menottes aux mains , entouré de policiers, est emmené dans Tours.

Le cortège passe devant le Grand Bazar, rue Nationale, passage Richelieu, place Choiseul. Houssard ne dit pratiquement rien sur ces différents lieux mais s'insurge du spectacle qui est donné aux nombreux curieux qui suivent ce déplacement.

Furieux, Houssard écrit une lettre au juge d’instruction pour s’indigner : "Je ne saurais trop m’élever contre l’exhibition, aussi scandaleuse qu’inutile à laquelle vous m’avez contraint en me faisant promener dans la rue la plus fréquentée de Tours, menottes aux mains. Ce n‘est pas en usant à mon égard de tels procédés que vous me forcerez à dire ce que je ne veux pas dire. Nous ne sommes plus au temps où l’on traînait les gens au pilori pour les faire insulter et bafouer par la populace. Je suis décidé à ne plus me prêter à une si odieuse comédie". La presse admet que cette mesure d’instruction est plus que blâmable.

Un peu plus tard Mme Guillotin est arrêtée, elle aurait confié à une amie que son cousin avait déjà tenté de  tuer son mari, aussitôt Houssard  se déclare le seul coupable et écrit : "J’ai appris qu’une innocente était aussi arrêtée, je vous dois des aveux. C’est moi qui ai tué Monsieur Guillotin. Je me suis ensuite rendu à Ruillé et, en passant à la Châtre, j’ai jeté mon revolver dans la rivière. Madame Guillotin n’est absolument pour rien dans le crime. Mettez-la en liberté et faites de moi ce que vous voudrez. J’affirme, une fois de plus, que j'adorais ma cousine mais que je n'ai  jamais eu de relations intimes avec elle."

Un non-lieu est prononcé vis-à-vis de Mme Guillotin et Paul Houssard comparaît seul, le 28 mars 1912 devant les Assises. Ce jour-là, un très grand nombre des journalistes parisiens assistent au procès, ainsi qu'une foule importante dont une partie ne pourra entrer.

L'acte d'accusation, que Houssard écoute calmement,  tente d'établir la préméditation du fait des relations de l'accusé avec sa cousine et de l'achat d'un révolver en août 1909, que l'accusé déclare avoir perdue et qui n'a pas été retrouvé. On sait que ce dernier s'exerçait au maniement de son arme dans un tir qu'il avait installé chez lui et on découvre que dans une planche en bois dans laquelle plusieurs balles sont encastrées portent des bavures identiques à celles qui tuèrent Guillotin.

L'absence de Mme Guillotin à l'audience ne permettant pas de progresser, le renvoi est alors ordonné et un mandat d'arrêt est lancé contre la femme.

Trois mois plus tard, l'affaire revient devant les Assises, exactement le 26 juin. Le public est aussi dense qu'en mars et les journalistes encore plus nombreux, on y voit même Alfred Capus, l'auteur dramatique et Colette, dont on peut lire ses comptes-rendus pour le journal Le Matin, dans son livre : Contes des mille et un matins (1911-1914). Voila d'ailleurs, comment elle commente le début de la première audience : " Avant l’entrée de la cour, le public, peu discret, manifestait pourtant une fièvre, une gaîté assez sinistre. Beaucoup de femmes venues pour elle, agitées d’une méchanceté mal cachée…

Je m’attendais à plus de gravité dans l’assistance. Ces messieurs de la presse judiciaire, débordants de jovialité, s’épanouissent en pronostics narquois. L’atmosphère ? Un peu d’une répétition générale d’après-midi, et d’ailleurs voici Capus

L’impression théâtrale se précise, si je détaille, sur l’estrade vide, des portes à demi brisées, des planches, des ballots mal ficelés, un bric-à-brac de décor miteux. Je me laisse gagner par la légèreté blasée de mes compagnons jusqu’à oublier que ces portes défaites ont servi de cibles, que ces ballots cordés contiennent des vêtements raidis encore d’un sang ancien.

L’entrée de Paul Houssard me rend à la réalité. Il est assis et ne montre que son profil. Pas une seule fois il ne se tournera vers la salle. Pendant sept heures, nous ne verrons que son profil honnête, quelconque, sauf la brisure têtue du nez. Cette brisure obstinée et cette nuque sans inflexion me rappellent singulièrement le capitaine Meynier, l’assassin de la baronne Olivier.

Houssard parle, et c’est encore la voix du capitaine Meynier, voilée, embarrassée et douce, et jusqu’à ce hochement de tête bizarre qui dit "non" quand l’accusé répond : "Oui, monsieur le président."

C’est alors que commence le plus interminable, le plus soporifique dialogue entre le président Roussel et l’accusé. Dialogue ! Que dis-je ? Monologue, monologue présidentiel, débité avec une lenteur, une monotonie exaspérantes ; des redites, des digressions sans utilité ; une insistance sans pénétration ; une minutie tatillonne à lasser toutes les oreilles, à décourager l’attention la plus passionnée ! Une intervention cinglante de Maître Henri-Robert, une réplique féline de Maître Maurice Bernard viendront seules, de loin en loin, interrompre ce ruissellement tiède de paroles, car Houssard, prostré, presque aphone, tiraillé de tics nerveux, n’oppose que des : "Je ne sais pas, je ne me rappelle plus."

Il murmure à peine, sans geste, et sa voix ne s’élève un peu que pour affirmer : "lI n’y avait rien entre Madame Guillotin et moi." Rien ne marque qu’il soit révolté par les questions très précises qu’on lui pose à ce   sujet. Il nie simplement. Il proteste contre l’évidence, avec une sérénité bornée de galant homme.

Le bref et muet passage, à l’audience, de Madame  Guillotin, sous ses voiles noirs, le bouleverse. L’accusé semble ressentir sa présence comme une    haleine, comme l’atteinte d’un vif rayon. Il respire vite, il avale avec peine, comme      s’il avait les amygdales enflées. Il jette sur elle de   fréquents regards brusques, il penche vers elle, comme aimanté.

D’elle, je ne vois d’abord que le poignant spectacle d’une main gantée de noir, crispée au-devant du visage dans un mouchoir blanc. Mais durant la suspension d’audience, alors que les curieux tentent sauvagement de s’approcher d’elle, je puis à mon aise regarder sa solide figure, toute fardée du feu mauve qui monte aux joues des rousses congestionnées. Elle a le front taurin, le nez obstiné, une ferme bouche de forte mangeuse   et la plus splendide couronne de cheveux ardents,   serrés, domptés à grand-peine, prêts à s’épandre, à bondir, si impatients et si enflammés que le calme, au-dessous d’eux, de deux grands yeux bruns semble un mensonge."

Comme on vient de le constater, Houssard est beaucoup plus abattu que la première fois. Mme Guillotin est présente en tant que partie civile mais considérée comme témoin. A la barre elle se tient droite, elle  répond d'une voix nette, d’abord pincée dans la gorge par l’émotion, mais qui monte et nasille légèrement lorsqu'elle s’irrite. On s'aperçoit alors que Louise-Marie Guillotin fait tête à tous les dangers. Dans la salle, quelqu’un s’écrie : "Ah ! là, là ! son avocat n’a pas besoin de s’inquiéter. En voilà une qui peut sortir sans sa bonne !"

Dans le Figaro du 30 juin 1912, Georges Claretie écrit : "Ce public féminin est peu favorable à Mme Guillotin. Il en est  toujours ainsi. Une femme n'a jamais plus redoutables accusatrices que toutes les autres femmes. Elles ne pardonnent guère à celles qui ont été trop aimées."

Contre Houssard, le procureur, retient la préméditation et réclame la peine de mort. Son avocat Maître Henri-Robert réplique : "Il est impossible que Houssard aille au bagne tandis que Madame Guillotin vivra libre, riche, honorée, heureuse."

Le jury retenant les circonstances atténuantes, Paul Houssard sera condamné à 20 ans de travaux forcés et la partie civile déboutée !

Houssard ne signe pas son pourvoi en Cassation et part pour le bagne de l'île de Ré, mais quelques temps après, sa peine est commuée en 20 ans de prison, il  entre alors à la prison de Melun, pour en sortir libéré en 1927.

C'est dans l'hospice de sa commune de Luynes, qu'il mourra en 1960.

(1)  "Une femme dont la passion criminelle condamne à mort le mari dont la seule présence s'oppose à son bonheur et dont la haine a assez de persuasive efficacité pour décider l'amant à l'acte abominable: tel est l'aspect romantique et odieux que prend décidément l'affaire."                                

                        (Victor Genest, Le Figaro, 1er septembre 1911)

 

Sources

Le Petit Journal N° 17989 du 28 03 1912

Le Petit Journal N° 18079 du 26 06 1912

Le Magasine de la Touraine N° 45 du 01 04 1993

Grands Procès de Touraine-Ph. Dubreuil-Chambardel Editions C.L.D.

Complainte :

Je dois à J.F. "Maxou" HEINTZEN, habitant dans l’Allier et qui s’intéresse aux complaintes criminelles de m’avoir fait suivre sa toute nouvelle trouvaille en brocante : L’horrible crime de Tours. Qu’il en soit ici remercié